L'endormissement des bébés au sein est-il un problème ?
Le conseil que reçoivent assez rapidement les mamans qui allaitent est qu’il faudrait « ne plus endormir le bébé au sein » sous peine que cela dure et qu’il ne puisse plus s’endormir autrement, en particulier lorsqu'il se réveille la nuit.
Les réflexions de l’entourage, voire de professionnels : « Il te prend pour une tétine » « Vous êtes son doudou » sont souvent des phrases que les mamans qui continuent l'allaitement et
« l'endormissement au sein » entendent souvent. De plus, on leur assure que c'est parce qu'elles l'endorment au sein que le bébé se réveille la nuit et redemande à téter, ou qu’il ne parvient pas à s’endormir seul.
De ce fait, certaines mamans pensent qu’il serait nécessaire d’endormir leur enfant d’une autre manière assez rapidement. Même si elles trouvent cela très pratique et gratifiant, elles ont le sentiment de ne pas faire ce qu’il faut et que cela peut avoir un effet délétère sur le développement de l’autonomie de leur enfant, en particulier la capacité à s’endormir seul.
Je ne vais pas revenir sur le développement du sommeil du bébé (Je vous invite à consulter les livres suivants sur ce sujet : "Dormir sans larmes"- de Jové Rosa et "Le sommeil du jeune enfant" Pour les parents qui ne font pas leurs nuits - d'Héloïse Junier)
Cependant deux points me semblent importants :
- Il est impossible d’endormir qui que ce soit (excepté lors d’une anesthésie), pas plus que nous ne pouvons apprendre à dormir à un bébé, l’endormissement et le sommeil étant un phénomène autonome.
- Contrairement à la croyance admisse, très peu de bébés sont en capacités de s’endormir seul dans leur lit sans un contact physique avec une personne de confiance avant un an, voire plus, qu’ils soient allaités ou non.
A noter qu’il n’y a aucune étude qui prouve que le fait que le bébé s’endorme au sein et qu’il ait éventuellement besoin de cela pour se rendormir la nuit, soit un problème pour le développement de l’enfant. Mais nous sommes dans une culture occidentale et vouloir réguler le sommeil du bébé et sa façon de s’endormir se comprend donc par rapport aux « besoins » de notre culture industrielle. Ceux-ci sont loin d’être en adéquation avec les besoins du bébé humain en matière de développement et de maturation du sommeil, tant au niveau de l’endormissement que du temps de sommeil continue la nuit.
Cependant, en tant que parents, nous sommes immergés dans cette culture et il est difficile de s’y soustraire. Après deux ou trois mois, la plupart des mères reprennent le travail et les exigences horaires qui vont de pair.
Non seulement, cela peut être difficile et épuisant de ne pas dormir suffisamment en raison des multiples réveils, mais ce qui l’est encore bien plus, c’est de penser que nous sommes responsables de cela. Quand on nous fait croire qu’un enfant « doit » (à un certain âge ou poids) s’endormir seul et dormir huit heures d’affilée sans demander ni réconfort, ni alimentation… comment ne pas se trouver désemparée, lorsqu’il se réveille plusieurs fois la nuit, pendant de « longs » mois et qu’il a tant de mal à s’endormir et se rendormir seul sans téter ? Est-ce une « mauvaise habitude » de laisser son bébé s’endormir au sein, comme on le laisse supposer ?
Étant donné qu’il y a très peu de bébés allaités au-delà de deux ou trois ans et à qui l’on donne la possibilité de s’endormir au sein aussi longtemps qu’ils le souhaitent, qui peut dire avec certitude, que l’allaitement est responsable des problèmes d’endormissement et de sommeil, et non pas les interventions très précoces, pour faire cesser cette façon de s’endormir et de dormir ?
Les études anthropologiques prouvent même le contraire comme le montre la conférence Des bébés de l'âge de pierre à l'époque de la conquête spatiale, de James McKenna, professeur en anthropologie et directeur du laboratoire de comportement du sommeil mère-enfant à l'Université Notre Dame (Indiana) (1)
Dans les faits effectivement l’endormissement au sein fait partie d’un rituel agréable et rapide lorsque tout fonctionne bien au niveau de l’allaitement, qui pourra perdurer aussi longtemps que la mère le souhaite sans effet délétère sur le sommeil et le développement de l’autonomie de l’enfant. Il pourra être même d’un grand secours lors des périodes de réveils plus fréquents entre 6 et 12 mois (qui font partie du processus de développement du bébé et en aucun cas dues à de mauvaises habitudes - cependant en cas d’allaitement, elles seront bien souvent imputées à celui-ci et non pas à ce que vit l’enfant).
Ce qu’il est cependant possible et nécessaire de faire c’est de favoriser un environnement où le bébé se sente en sécurité et de ce fait se laisse aller au sommeil. C’est d’ailleurs ce que procure la tétée au sein avec le contact physique (libération d’ocytocine), la succion qui va apaiser l’enfant et favoriser son endormissement (par le mécanisme parmi d’autres d’apaisement du système parasympathique au niveau du palais). De plus, en soirée les composants spécifiques du lait maternel en l’occurrence la mélatonine et le tryptophane
(un acide aminé qui sera transformé en mélatonine également), vont favoriser l’endormissement.
Les mamans sont bien souvent ravies de cet endormissement rapide, et déclarent que c’est beaucoup plus long de faire autrement, en berçant et portant l’enfant lorsqu’elles cessent
de pratiquer ce rituel.
Pour moi c’est seulement si la mère n’est pas satisfaite de la situation, et non sous la pression de l’entourage ou de professionnels qu’il sera nécessaire de l’accompagner afin qu’elle puisse remplacer ce rituel d’endormissement et de réendormissement, par un autre qui procurera à l’enfant ce besoin de sécurité primordial pour se laisser aller vers le sommeil.
Ce changement demandera de la patience et de la créativité et sera différent selon l’âge de l’enfant. En étant conscient que la plupart du temps cela n’empêchera pas forcément le bébé ou l’enfant de se réveiller la nuit, ni de mieux s’endormir avec d’autres personnes dans la journée.
La mise en place de l’endormissement et du sommeil, comme de l’allaitement, est à la fois physiologique et biologique, donc en soi naturel (ce qui ne veut pas dire facile). Cependant les attentes de la culture dans laquelle nous vivons sont autant de facteurs qui peuvent fragiliser ou entraver ces processus.
Je vous invite également à participer à la journée du 19 octobre organisée par Nurturing project qui aura pour thème "L'allaitement, le cododo et le sommeil du nourrisson, discours professionnel et harmonie familiale"
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(1) Sur le site www.lllfrance.org " Vous informer" puis : Fonds documentaire - dossier de l'allaitement et rechercher JIA 2005